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Un open-space parisien, des réunions hebdomadaires et des remarques répétées : le théâtre banal d’un dossier judiciaire qui s’est joué devant la cour d’appel. J’y ai assisté, notant surtout le contraste entre le sérieux des juges et l’absurdité des propos rapportés.
Une directrice respectée… jusqu’aux plaisanteries douteuses
Fatima B., 52 ans, dirigeait depuis dix ans une petite filiale d’un groupe de conseil installé dans le XIIe arrondissement de Paris. D’origine algérienne, elle se présentait volontiers comme un modèle de réussite sociale et professionnelle. Mais selon plusieurs salariés, ses “traits d’humour” ciblaient systématiquement deux collaborateurs noirs de son équipe.
Les propos rapportés par ces derniers — évoquant leur couleur de peau ou leur supposée origine — ont rapidement franchi la frontière entre familiarité et humiliation. L’un d’eux a déposé plainte dès 2021 auprès du parquet de Paris.

Le procès en appel : un humour jugé discriminatoire
Devant la cour d’appel, Fatima B. a tenté de plaider la maladresse et la proximité professionnelle. Ses avocats ont insisté sur sa propre histoire migratoire pour minimiser l’intention discriminatoire. Argument balayé par les magistrats : être soi-même issue de l’immigration n’exonère pas du respect dû à autrui.
La juridiction a confirmé la décision du tribunal correctionnel : deux mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende. Une sanction qui s’ajoute à une inscription au casier judiciaire.
Ce que dit la loi française
La discrimination au travail est encadrée par le Code pénal (articles 225-1 et suivants). Les peines prévues sont lourdes :
- Jusqu’à trois ans d’emprisonnement
- Et 45 000 euros d’amende
- Interdiction éventuelle d’exercer certaines fonctions
L’appel reste possible dans un délai légal fixé à dix jours après jugement en première instance. Dans ce cas précis, c’est bien la cour d’appel qui a tranché définitivement sur les faits.
L’ironie des chiffres judiciaires
Selon les statistiques du ministère de la Justice, plus de 6 500 affaires liées à des faits discriminatoires ont été enregistrées en France en 2023. Pourtant, moins de 15 % aboutissent à une condamnation ferme devant un tribunal correctionnel. La plupart se soldent par des rappels à la loi ou des transactions pénales.
JusticeEst condamné à 2 ans de prison celui qui cloue son ami au sol à l’aide d’un couteau de cuisine de 40cm car « il ne voulait pas lui rendre ses accessoires »Ici, l’affaire a donc suivi un parcours relativement rare : plainte formelle, poursuites judiciaires et condamnation confirmée en appel.

D’autres affaires comparables
L’an dernier, un cadre bancaire lyonnais avait été condamné pour avoir surnommé son stagiaire “Banania” devant ses collègues ; il avait écopé de trois mois avec sursis. À Marseille, en 2020, une responsable RH avait vu sa carrière stoppée net après avoir diffusé un mail interne au contenu jugé raciste par l’inspection du travail.
Ville | Année | Faits reprochés | Sanction |
---|---|---|---|
Lyon | 2023 | Surnom humiliant envers stagiaire noir | 3 mois avec sursis |
Marseille | 2020 | Email interne raciste diffusé aux salariés | Licenciement + amende disciplinaire |
Paris (affaire Fatima B.) | 2024 | Plaisanteries récurrentes contre deux employés noirs | 2 mois avec sursis + 5 000 € amende |
L’impact discret mais concret des condamnations
Même sans emprisonnement ferme, ces sanctions entraînent souvent :
- Difficultés pour retrouver un poste équivalent (mention au casier judiciaire)
- Tensions familiales liées aux frais judiciaires élevés (honoraires dépassant parfois les amendes)
- Nouvelles obligations professionnelles : formations obligatoires à la non-discrimination imposées par certaines entreprises après condamnation pénale.
Derrière l’affaire Fatima B., c’est tout un pan du quotidien judiciaire français qui rappelle que les mots pèsent autant que les actes physiques dans un prétoire parisien.