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Le jour où Brigitte Lemoine a hérité de son cousin décédé, elle ignorait tout de son activité en ligne. Et comme beaucoup, elle n’a pas pensé à vérifier s’il possédait un compte PayPal. Le notaire non plus. Résultat : plusieurs centaines d’euros sont restés hors du champ de la succession. Et ce n’est pas un cas isolé.
Un patrimoine numérique oublié par le droit français
Le cadre légal de la succession reste centré sur des biens matériels et bancaires traditionnels. Pourtant, l’économie digitale transforme discrètement les héritages. De nombreux Français utilisent PayPal pour des ventes, des encaissements ou des paiements récurrents. Et ces comptes, à la mort de l’utilisateur, tombent souvent dans l’oubli.
Le problème ? Ils ne sont ni repérés automatiquement par le notaire, ni affiliés à un registre centralisé comme le FICOBA pour les comptes bancaires classiques. La détection repose presque exclusivement sur la vigilance des proches ou l’exhaustivité des documents transmis en amont.

Une fortune silencieuse pour l’entreprise américaine
Contrairement à une banque française soumise à des obligations déclaratives, PayPal – entreprise de droit américain – ne notifie pas les autorités en cas de décès d’un titulaire. À défaut de formalités spécifiques enclenchées par la famille ou un notaire, le compte reste actif. Mais inerte. Et les fonds gelés. Selon mes recoupements avec plusieurs notaires et juristes spécialisés en droit international privé, ces cas de successions incomplètes se chiffreraient par milliers chaque année rien qu’en France.
PayPal, en l’absence de demande, conserve simplement les soldes. Environ un tiers des successions numériques seraient concernées par des actifs « dormants » numériques, selon une estimation avancée par un conseiller patrimonial parisien.
Des démarches complexes qui découragent les familles
L’accès au compte d’un défunt est possible. Mais la procédure imposée par PayPal est rigide. Elle exige une combinaison de documents que bien peu de familles rassemblent spontanément :
- Acte de décès original
- Copie certifiée du testament ou attestation d’hérédité
- Pièce d’identité légale du demandeur
- Lettre signée indiquant la volonté de fermeture et le sort du solde
Une fois ces éléments réunis, PayPal peut soit fermer le compte et libérer les fonds sur un compte bancaire désigné, soit transférer la propriété du compte à l’héritier. Cette dernière option reste exceptionnelle.
« Nous avons découvert un compte PayPal avec 3 200 euros dessus alors que la succession était finalisée. Le notaire n’a pas souhaité réouvrir le dossier. On a dû s’occuper nous-mêmes de tout, en anglais, sans réponse pendant deux mois. » – témoignage de Brigitte Lemoine, héritière à Troyes
Une asymétrie dont PayPal tire parti ?
Certains professionnels s’interrogent ouvertement. Si les comptes sont oubliés, qu’advient-il réellement des fonds ? La politique affichée par PayPal évoque des procédures de compte inactif et de transfert d’argent aux États américains en cas de domiciliation US. Mais peu d’informations sont données sur le sort des soldes européens où aucun héritier ne se manifeste.
BanqueFin des distributeurs automatiques : c’est officiel, après cette datte il ne sera plus possible de retirer des billets ou espèces dans les automates des ces villes françaisesJ’ai sollicité PayPal France pour obtenir des données agrégées sur les montants « non-reclamés » issus de comptes inactifs de titulaires décédés. Sans succès : l’entreprise dit ne pas communiquer ce type d’information précise. Pourtant, dans la mesure où les fonds restent captifs sans bénéficiaire identifié, l’avantage financier pour l’entreprise semble évident, même s’il n’est pas officiellement quantifié.

Une réglementation qui accuse un retard inquiétant
À ce jour, aucun texte européen n’impose aux plateformes de paiement de déclarer les comptes dormants aux notaires. Contrairement aux organismes bancaires régulés, les outils de paiement numérique échappent partiellement aux règles successorales classiques. Une zone grise juridique.
Type de compte | Détection automatique par le notaire | Procédure standard en cas de décès | Blocage des fonds sans demande |
---|---|---|---|
Compte bancaire français (livret, compte courant) | Oui (via FICOBA) | Oui | Oui |
Compte PayPal | Non | Sur initiative des héritiers uniquement | Oui |
Compte en crypto-monnaie | Non | Variable selon le portefeuille | Oui |
Des pistes pour corriger la faille
Plusieurs experts recommandent désormais aux familles d’intégrer la dimension numérique dans les successions. L’ajout d’une clause spécifique dans les testaments ou les documents patrimoniaux devient courant : mention des identifiants, plateformes utilisées, instructions précises. Des notaires commencent à former leurs collaborateurs à cette « succession numérique ».
Certains acteurs du droit poussent pour que les plateformes soient, à terme, soumises à une obligation de déclaration des comptes inactifs, comme les banques. Mais la transposition de cette idée dans le droit international reste loin d’être acquise.
En attendant, PayPal conserve ces soldes, parfois pendant des années. Un système où, en cas d’oubli ou d’inaction des vivants, le silence numérique des morts se transforme en gain silencieux pour un géant du paiement.