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Le monde de la numismatique n’en finit pas de surprendre. Cette semaine, une pièce de 2 euros présentant la fameuse lettre « S » dans l’une des étoiles a été adjugée à 115 000 euros lors d’une vente aux enchères en ligne, déclenchant une onde de choc chez les collectionneurs comme les curieux. Mais derrière ce chiffre choc se cache une histoire bien plus nuancée.
Une effervescence autour du « S »
L’euro est une monnaie banale à nos yeux, mais pour les spécialistes, chaque détail compte. Et cette pièce de 2 euros frappée en 2002, affichant un « S » dans l’une des douze étoiles européennes, soulève des questions. Son origine tient d’un contexte industriel : la Grèce, à l’époque de sa transition vers la monnaie unique, ne pouvait frapper l’ensemble de ses pièces. Elle a donc fait appel à d’autres pays de la zone euro pour produire une partie de sa première série.
Le « S » ? Il désigne simplement « Suomi », le nom finnois de la Finlande, pays ayant frappé une partie des pièces grecques cette année-là. Rien de plus. Et pourtant, c’est ce détail qui alimente la rumeur d’exception.

115 000 euros : mythe ou vente effective ?
À en croire Karine D., une collectionneuse de la première heure rencontrée lors d’un salon numismatique, les convoitises sont bien réelles. Elle m’a raconté avoir suivi l’enchère jusqu’au bout sans y croire. « Franchement, je pensais que ça allait se calmer vers 10 000 euros. Mais quand le marteau a tapé 115 000… j’étais bouche bée, » m’a-t-elle confié.
« J’ai vu cette pièce se vendre à 115 000 euros sous mes yeux. J’en ai une chez moi, dans un bocal. C’est comme si j’avais gagné au loto. Sauf qu’en fait, ça vaut sûrement rien. » — Karine D., collectionneuse
Mais cette vente est-elle vraiment représentative ? J’ai consulté des spécialistes. Tous mettent en garde : l’enchère en question s’est déroulée sur une plateforme peu rigoureuse, sans authentificateur officiel, et rien ne garantit que le règlement a bien eu lieu. La somme de 115 000 euros a bien été affichée, mais l’opération pourrait être fictive, ou manipulée.
Une pièce plus courante qu’on ne le croit
Contrairement à la croyance populaire amplifiée par des publications virales ou des vendeurs douteux, cette pièce n’a rien d’une erreur de frappe. Son tirage ? 70 millions d’exemplaires. C’est considérable. Elle est donc loin d’être rare.
Le tableau ci-dessous résume les chiffres disponibles sur sa cotation réelle :
État de la pièce | Valeur estimée |
---|---|
Circulée | 2 € (valeur faciale) |
Qualité UNC (non circulée) | 8 € à 14 € |
Prix moyen observé sur eBay | 20 € à 35 € |
Certains collectionneurs espèrent toujours tomber sur la version « miracle ». Pourtant, les numismates dénoncent depuis plusieurs années une spéculation sans fondement. La cote ne varie que peu, même avec l’emballement des réseaux sociaux ou des médias généralistes.
La logique derrière la bulle spéculative
Depuis 2019, la folie s’accentue. Les annonces sur les sites de vente affichent des montants délirants : 80 000 euros en Allemagne, 54 000 euros en France, parfois… 16 euros dans une annonce voisine. Les différences sont telles qu’elles révèlent surtout l’instabilité du marché et l’absence de régulation.

Et pourtant, la demande ne faiblit pas
Le mystère continue de faire vendre. Voici ce qu’on peut encore observer sur les principales plateformes :
- 115 000 € affichés sur une plateforme d’enchères en ligne
- 66 000 € proposés à l’achat immédiat sur deux sites numismatiques
- Des milliers d’annonces entre 250 € et 45 000 € depuis trois ans
- Des copies ou vraies pièces vendues 20 € sur des places de marché connues
Selon plusieurs experts interrogés, ces ventes sont rarement conclues, ou font l’objet de fausses transactions pour gonfler artificiellement l’intérêt. « On appelle ça du faux volume, » m’a expliqué un professionnel basé à Lyon. « Des vendeurs s’achètent eux-mêmes pour créer l’illusion d’un marché en pleine explosion. »
Un phénomène révélateur de notre époque
Au fond, la folie autour de cette pièce « avec le S » illustre bien certaines tendances de notre temps. Une information mal comprise, amplifiée par la viralité du web, finit par faire naître une bulle. Des objets quotidiens prennent une valeur mythique sans fondement solide. L’affaire rappelle d’autres emballements récents, autour de sneakers limitées, de cartes Pokémon ou de NFT.
Et pendant ce temps, les pièces de 2 euros frappées avec soin par les petites nations comme Saint-Marin ou Monaco, en tirages réellement faibles, peinent à attirer les projecteurs. Ironique ? Sans doute. Mais révélateur. Ce n’est pas la rareté qui fait le prix… c’est le récit qu’on lui colle.